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Petit tour aux comparutions immédiates

Palais de justice de Lyon, 14ème chambre du tribunal correctionnel. Une audience de comparutions immédiates comme les autres. Le public, venu en nombre ce lundi après-midi, prend place sur les bancs agrémentés de coussins moelleux, ce qui est plutôt agréable étant donné que nous sommes amenés à y passer de longues heures. C’est pourtant une maigre consolation car si notre séant est en effet bien soigné, nos oreilles elles ne sont pas épargnées : difficile en effet d’intimer le silence à des petits enfants qui préféreraient jouer au parc plutôt que d’être confinés dans la pénombre d’une salle d’audience. L’huissier tente tant bien que mal de faire régner un semblant d’ordre. Peine perdue. L’on sait donc par avance qu’il va falloir allonger le cou pour tendre l’oreille et réussir à attraper au vol les quelques mots prononcés par les prévenus.

Premier dossier : celui de M. T., interpellé le 8 avril. Le président énumère les faits qui lui sont reprochés : omission d’obtempérer à une sommation d’arrêter le véhicule émanant d’une autorité publique, omission de rester maître dudit véhicule, ce qui a occasionné un accrochage avec une Peugeot 106, délit de fuite, défaut d’assurance du véhicule et la cerise sur le gâteau, conduite sous l’empire d’un état alcoolique avec un taux relevé à 0,42 mg par litre d’air expiré (le seuil pour un délit est de 0,40mg/L). M.T est en outre en état de récidive légale. Il a été condamné à plusieurs reprises pour des délits routiers. «Décidément, la conduite automobile et vous, vous n’êtes pas trop copains», lâche pince sans rire le président. La procureure souligne que par le jeu de la récidive légale, M.T risque quatre ans d’emprisonnement. Elle insiste sur «son comportement particulièrement dangereux». Elle requiert 18 mois d’emprisonnement dont six mois assortis d’un sursis avec mise à l’épreuve (SME) de trois ans mais également une obligation de soins et d’indemniser la victime, et une amende délictuelle pour défaut d’assurance. L’avocat de la défense s’appuie sur la personnalité fragile de son client et se rapporte à l’enquêtrice sociale qui avait indiqué que l’incarcération était à éviter. Jugement : 18 mois d’emprisonnement dont six mois assortis d’un SME de trois ans et obligation de se soigner, de travailler et d’indemniser la victime.

C’est au tour de M. Karim B., marié, trois enfants, il est responsable d’exploitation dans le transport. Il comparaît pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique avec un taux de 0,90mg par litre d’air expiré, relevé le soir du 8 avril. Le président lui rappelle qu’il a déjà été incarcéré par le passé à huit mois d’emprisonnement à la maison d’arrêt de Corbas pour les mêmes faits. Il est donc en état de récidive légale. «Chasser le naturel, il revient au galop», constate, doux-amer, le président. Il est également reproché au prévenu d’avoir conduit alors que son permis avait été annulé. Pour sa défense, Karim B. évoque son problème chronique avec l’alcool. «Si vous avez des problèmes d’addiction, soit vous vous faites soigner, soit vous décidez de ne pas conduire», lui rétorque le président. «Il vaut mieux ne pas me donner le permis de conduire et je ne conduirai pas», tente le malheureux dans son box, pensant amadouer le tribunal. Raté. Le président le renvoie directement dans les cordes : «Mais vous n’aviez déjà plus votre permis de conduire et vous avez conduit quand même. Il faut vous le dire comment ?». Tout en pointant la dangerosité potentielle du prévenu, la procureure prend néanmoins en compte les démarches employées par M. B. Elle requiert donc un an d’emprisonnement, dont six mois assortis d’un SME de deux ans. Le tribunal suit les réquisitions et prononce également une obligation de soins, une interdiction de solliciter un nouveau permis de conduire avant deux ans et une interdiction de conduire tout véhicule terrestre à moteur. En outre, le tribunal ne délivre pas de mandat de dépôt car le prévenu est sous le régime de semi-liberté.

Arrive ensuite, Guy M., 18 ans. Dès son entrée dans le box, le jeune homme ne fait pas très bonne impression, il toise avec arrogance le tribunal dans son ensemble et roule des mécaniques. Les faits qui lui sont reprochés sont les suivants : le jeudi 8 avril, le prévenu a tenté de soustraire frauduleusement à l’aide d’une arme, le sac d’une jeune étudiante, qui lui a résisté. Cette tentative de vol avec violence étant encore aggravée par le fait que l’infraction était commise en réunion (deux mineurs étaient présents également arrachant les sacs des deux autres étudiantes présentes. Ils ne comparaissent pas ce jour mais seront jugés devant le tribunal pour enfants). Le jeune homme est en plus en état de récidive légale suite à une condamnation pour vol avec destruction, prononcée le 29 octobre 2009 par le tribunal pour enfants. Si les faits sont établis, Guy M. risque donc quatorze ans d’emprisonnement, dont trois ans de peine plancher. La description des faits achevée, le président donne la parole au prévenu qui nie farouchement toute implication dans l’affaire. «Ce n’est pas moi, je ne vais vous dire que c’est moi si c’est pas moi», s’énerve-t-il. Même aplomb devant sa victime qui, le fixant droit dans les yeux, le reconnaît formellement. «Le tribunal savait bien que vous alliez faire la forte tête. Votre attitude arrogante a déjà été soulevée par les policiers», souligne le président. Mais il aura beau faire, le pousser dans ses derniers retranchements, lui lire les déclarations de ses deux amis mineurs qui l’accablent, Guy M. ne bouge pas sa position d’un iota et persiste à dire qu’il est victime d’un complot. «Cette audience aura pour ma cliente un goût amer. Alors qu’elle a subi une agression traumatisante, elle n’a en face d’elle qu’un prévenu qui se présente comme la victime, la pauvre victime d’un coup monté fomenté par deux mineurs», plaide l’avocate de l’étudiante. Pour la procureure, «Guy M. est un jeune homme qui refuse d’assumer ses actes, c’est un monsieur qui n’est pas prêt d’arrêter».  Ces faits méritent donc quatre ans d’emprisonnement dont un an assorti d’un sursis avec une mise à l’épreuve de trois ans. La procureure demande en outre son maintien en détention. «Parader tant que vous pouvez encore», assène le président au prévenu lorsqu’il pénètre à nouveau dans le box pour entendre la décision. Ce sera deux ans d’emprisonnement dont un an assorti d’un SME pendant deux ans. Le tribunal prononce également trois obligations : soins (pour le caractère violent), travail et indemnisation de la victime (1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral).

C’est au tour de M. G., un ressortissant congolais. Il aurait exercé des violences sur un homme et une femme en faisant usage d’armes (marteau, bouteilles en verre…), occasionnant pour les deux victimes une ITT de moins de huit jours.  Les faits se sont déroulés dimanche matin à l’occasion d’un repas de famille ou entre amis. Le prévenu sollicite un délai pour mieux préparer sa défense et permettre de faire la lumière sur les circonstances exactes des faits. Sera juste débattu lors de cette audience le placement ou non en détention de M. G. La procureure demande que soit délivrer un mandat de dépôt à l’encontre du prévenu car il a déjà été condamné pour des faits de violence. Il y a également un risque de représailles et de renouvellement des faits. L’avocat de la défense demande sa remise en liberté. Le tribunal a tranché : un mandat de dépôt est délivré pour empêcher tout risque de réitération. L’affaire est renvoyée au 18 mai prochain.

Dans le box se trouvent maintenant Giovanni B., de nationalité française et M.M de nationalité congolaise. Ils comparaissent pour avoir fait usage de violence ayant entraîné une ITT de moins de huit jours sur des personnes dépositaires de l’autorité publique, en l’occurrence des contrôleurs des transports en commun lyonnais (TCL) et pour avoir outragé ces mêmes agents en les insultant. Dernière circonstance aggravante, les faits sont commis en réunion. Plus précisément, le 8 avril, les deux prévenus se trouvent dans un bus. Aux alentours de 21 heures, lors d’un arrêt, trois contrôleurs montent pour vérifier la régularité des titres. Au même moment, les deux hommes descendent en poussant les agents TCL et tout le petit monde se retrouve hors du bus. S’ensuit une flopée d’insultes de la part des jeunes hommes à l’encontre des agents. Les retranscriptions des enregistrements sont assez éloquentes. «Fils de pute, enculés, je vais vous crever».  L’un des prévenus possède un couteau opinel et semble menacer l’un des agents. A l’audience, les deux hommes nient les faits. Ils ne comprennent pas l’attitude des agents à leur égard alors que selon leurs dires, ils disposaient chacun d’un titre de transport en règle. Et en ce qui concerne le couteau, l’explication est simple, selon son possesseur : «quand mon couteau est tombé au sol, il s’est un peu ouvert mais il ne s’est pas complètement déployé donc la lame était légèrement apparente». «Voyons, à qui vous voulez faire croire cela ?», demande le président du ton assuré de celui à qui on ne la fait pas. «Si je vous comprends bien, vous êtes encore les victimes d’un contrôle discriminant», poursuit-il. La procureure requiert pour M.M, qui détenait le couteau, une peine de dix mois dont six mois assortis d’un SME Pour Giovanni B. six  mois d’emprisonnement intégralement assortis d’un SME de dix-huit mois. Leurs casiers judiciaires sont vierges. Jugement : le tribunal n’a retenu que la qualification d’outrages et aussi le port d’arme pour M.M. Exit la qualification de violence. Pour les peines, M.M est condamné à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et Giovanni B à deux mois avec sursis. Les deux condamnations ne figureront pas sur le bulletin n°2. Ils sont en outre condamnés solidairement à verser 150 euros à chacune des trois parties civiles.

(fin de la première partie)